mardi 1 mai 2007

"juste un texte" d'Anne-Laure

Objet : Ceci n'est pas un message politique, juste un texte
Date : 30 avril 2007
Dans sept jours...

J’avais dix ans en 1981 lors de l’élection de François Mitterrand. Dix-sept ans lors de sa réélection en 1988. J’ai eu du mal, comme tout le monde, à comprendre la politique.
J’ai voté aux présidentielles la première fois, en 1995 : pour Jospin au second tour - peut-être même au premier, je ne m’en souviens plus. En 2002, je n’ai pas voté pour lui au premier tour - ça, je m’en souviens.
Je ne suis inscrite dans aucun parti. Je n’étais pas née en 1968.
Je suis écrivain. J’habite en région parisienne. J’ai des enfants.
Ce matin, j’ai entendu un extrait du discours de Nicolas Sarkozy durant son meeting d’hier à Paris. J’étais en train de boire mon café. Je l’ai entendu, bêtement, dans ma cuisine.
J’avais plutôt bien dormi ; l’orage de la veille avait allégé l’atmosphère estivale de ces derniers jours. Le soleil pointait quelques rayons. Tout était paisible.
Dans la radio, Nicolas Sarkozy exhortait une foule. La foule répondait par sa clameur enthousiaste. C’est bien normal, dans un meeting.
Il y a quelques jours, j'ai achevé l’écriture d’un roman. En me levant ce matin, j’étais prête à le relire, à le corriger, à tenter de lui faire rendre ce jus d’humanité qui se niche dans les personnages.
Dans le poste, Nicolas Sarkozy réclamait les bulletins de vote. “Jamais, a-t-il dit, JAMAIS un candidat n’a autant eu besoin du peuple.” La foule prenait acte en hurlant.
Mes enfants s’apprêtaient à partir au collège. La veille, j’avais commencé à songer aux vacances d’été. Le Lot ou les Pyrénées ? Randonnée, oui, mais avec ou sans sac à dos ? Ce genre de questions.
Le discours de Nicolas Sarkozy se poursuivait. Il a dit : “Il faut liquider une bonne fois pour toutes Mai 68”.
C’est fou ce qu’il a fait beau et chaud durant ce mois d’avril, non ?
Sans même partir en vacances, on s’y croyait, avec les odeurs de barbecue dans les jardins, les transats, les terrasses, et plein de gens qui avaient pris des coups de soleil. Le dimanche précédent, le 22 avril, j’avais fait la queue longuement dans le bureau de vote, puis des amis étaient venus passer la journée dans mon jardin. Parmi eux, certains avaient voté Royal, Besancenot, Bayrou, peut-être même autre chose ; on n'était pas tous d’accord, on discutait.
À la radio, Nicolas Sarkozy a crié que Mai 68 nous avait “imposé le relativisme moral et intellectuel”. La fenêtre de la cuisine était ouverte. J’entendais, au loin, la rumeur de la route. Le lundi matin, il y a toujours des bouchons. J’ai pensé que beaucoup de gens, dans leurs voitures, écoutaient au même moment que moi ce discours sur France Inter. RELATIVISME. MORAL. INTELLECTUEL.
J’ai posé ma tasse de café. Et là, alors que tout était si paisible, si normal, je me suis mise à pleurer.
Je vous jure que c’est vrai. J’ai éclaté en sanglots.
Mes enfants sont partis au collège, un peu défaits de me voir comme ça. Peu avant, la météo avait annoncé une belle journée. Je n’arrivais pas à m’arrêter de pleurer.
Je suis peut-être trop sensible.
J’ai peut-être reçu trop de mails ces derniers jours tendant à démontrer le caractère dangereux de Nicolas Sarkozy.
J’ai peut-être accordé trop d’importance à ses propos sur la génétique, sur l’inutilité de la littérature ancienne.
J’ai peut-être mal lu, dans les mauvais journaux, les articles dénonçant les rapports qu’il entretient avec les patrons, la finance, la scientologie.
J’ai peut-être mal interprété ce qu’il a dit sur France 2 l’autre soir, au sujet des prérogatives d’un président de la république qui, d’après lui, doit se mêler de tout - être le chef, sans partage.
Je ne suis sans doute pas raisonnable. Je n’ai sûrement pas les pieds sur terre, mais ce matin, j’ai entendu ses vociférations, ses cris, les intonations terrifiantes de sa voix, j’ai senti sa puissance, son populisme, sa démagogie. J’ai senti la haine qu’il porte en lui.
RELATIVISME (définition du Robert) : "Doctrine qui admet la relativité de la connaissance humaine. Doctrine d’après laquelle les valeurs (morales, esthétiques) sont relatives aux circonstances (sociales, etc.) et variables."
Nicolas Sarkozy veut liquider ça. Autrement dit : la pensée.
Comment un pays, comment la France, peut-elle porter au pouvoir un homme qui refuse la pensée ? La pensée n’est ni de droite ni de gauche, je suppose.
Elle est juste l’essence de l’homme, sa caractéristique fondamentale.
Quel genre d'animal politique peut tenir des propos pareils ?
Je vous l’ai dit : je ne suis pas raisonnable.
J’adorerais me tromper.
Anne-Laure

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