Participer à la vie de la cité implique des choix, des obligations - souvent autant de profits humains, sociaux, politiques, intelligents. Dans l'absolu, quand fanchon s'est rendue dans une mairie pour la cérémonie rituelle des vœux de nouvelle année, elle rencontrait ce vendredi d'autres humain-e-s, des réseaux sociaux : par exemple des responsables d'associations de toutes sortes, des personnalités culturelles comme un poète fêlé ; bref elle a passé une bonne soirée. Ce qui était, dans l'absolu, bien préférable au choix de rester devant sa télé.
Si elle avait jeté ne serait-ce qu'un œil sur Télérama, le choix eût été une épreuve. Dans l'émission Empreintes, Annick Cojean (belle promesse déjà) proposait dès 20h(35 bien sûr) un documentaire sur Françoise Héritier. Merveilles manquées !
Il a fallu ce dimanche matin pour tomber sur une rediffusion, et le site de France 5 permet de voir la video pendant la semaine qui vient : à consommer sans aucune modération !
"Celui qui écoute un témoin le devient déjà", dit Annick Cojean. Il est donc important de ne pas manquer, et de ne pas oublier un document pareil.
On y voit une grande figure de ce siècle passé, "fille" choisie de Claude Lévi-Strauss et lui succédant, avec tous les titres portés par d'autres (plus souvent au masculin) : ethnologue, anthropologue, professeur émérite au Collège de France (où elle fut la seule femme, la deuxième). Le document évoque évidemment sa carrière et ses domaines de recherche. Mais elle se présente comme "anthropologue dans la cité" ; une femme. Et elle en dit et montre toute l'originalité - qu'on voit bien rarement avec des hommes scientifiques de ce niveau. Tout de son travail est en lien avec ce qui pourrait paraître anecdotique dans une vie quotidienne.
Comment ne pas retenir pour nos engagements ces phrases que F. Héritier prononce à dessein ?
"La connaissance rend sceptique et rend critique"
"Ce que l'esprit humain a créé, l'esprit humain peut le remplacer"
À retenir comme encouragement à combattre la primitivité intellectuelle et la brutalité des affirmations politiques simplistes de notre temps !
Voilà une femme comme de nombreuses femmes de son âge, atteinte par la maladie, qui accepte de se montrer changée physiquement, sur ses cannes, en train de vider une vieille maison de ses souvenirs dans des cartons. Qui ne connaît ?... Mais une femme épluchant des légumes devant une caméra, même non scientifique honoraire, c'est rare* ! Enfin, amoureuse de chanson, on la voit sur un banc avec son médecin complice, évoquer Henri Salvador et les paroles de "ton père n'est pas ton père...", non incongrues en ethnologie.
Si des personnalités s'engagent dans la vie de la cité avec leur expérience et leur notoriété, c'est généralement pour le faire savoir. Mais on découvre, 20 ans plus tard, que F. Héritier avait été nommée présidente du Conseil national du Sida créé par F. Mitterrand. Bien loin d'un titre purement formel, cette fonction a permis à l'anthropologue féministe d'enquêter et d'agir.
Le bilan qu'elle en tire avec l'historienne Michelle Perrot est édifiant : le CNS a obtenu (entre autres) que la médecine pénitentiaire, dépendant du ministère de l'Intérieur, soit rattachée à la Santé (ministère, pas prison !). C'était la victoire du droit au secret de la vie privée, dont elles avaient découvert l'absolue nécessité après avoir rencontré des prostituées, des femmes détenues. Toutes deux soulignant que la plus forte privation de liberté a toujours été celle des femmes.
Voilà des universitaires-femmes qui ont mis leur savoir, leur expérience, leur autorité, au service d'un engagement féministe. C'est-à-dire au service, solidaire, des femmes dont elles font partie. Toutes deux soulignent que ce 20e siècle avec la contraception a permis aux femmes, si longtemps soumises, de devenir sujets agissantes de leurs vies.
Françoise Héritier, comme beaucoup de femmes, a porté des noms différents selon le cours de sa vie : et elle s'est fait ces noms-là successivement, sous lesquels nous l'avons connue au fil de sa carrière : Françoise Izard, puis Héritier-Augé, puis simplement SON nom : Héritier (un masculin ! mais ça n'empêche rien). Quels hommes célèbres ont eu à garder une notoriété avec des noms successifs, qui sont simplement d'usage ? (On avait déjà connu le cas d'Alice Picard, première "recteur", devenue Alice Saunier-Seïté, ministre)
Si elle avait gardé son nom sans porter celui de ses maris, on en aurait perçu toute la symbolique aussi, dans son domaine de recherche sur les filiations. Mais on la voit justement avec son ex et collègue, mais mieux que beaucoup de couples, retracer un bilan et parler avec intelligence.
Tous ces petits détails abordés en moins d'une heure ne marquent pas un grand écart entre une carrière professionnelle exceptionnelle et une vie de femme comme d'autres. Au contraire l'expérience de la chercheure nous incite à nous prendre en main, comme elle a utilisé son savoir pour aider les autres femmes.
Un détail parmi d'autres : elle n'hésite pas à faire remarquer que tout au long de sa leçon inaugurale au Collège de France, il y a 25 ans, elle libérait son angoisse et son trac en manipulant un mouchoir en boule... Même à ce niveau, une femme seule devant un auditoire d'hommes connaît la même expérience que les autres. Trivialité hors de propos ? non. Elle-même l'assume et nous invite à bouger.
Cette femme du commun et hors du commun a tenu à laisser une filiation et un lien pour l'action future : les associations de femmes gardent le souvenir ébloui - et amical - des interventions de Françoise Héritier pour les inciter à continuer, mettant son savoir à leur disposition comme outil de réflexion.
On l'avait retrouvée aussi parmi 200 intellectuels appelant à soutenir la candidate Ségolène Royal et démolissant, il y a deux ans dans Le Monde, les arguments misogynes.
AInsi n'y a t-il aucune excuse pour le genre qui chipote "oh non, JE ne suis pas féministe". Ah bon ? et JE veux tout quand même ? S'il n'y avait pas eu de féministes, comment aurais-JE eu la contraception et mille petites libertés acquises difficilement ? Comment pourrais-JE espérer - un jour ?! - un poste, un salaire, une retraite, les conditions de vie que je mérite ?
Ces grandes universitaires si discrètes montrent l'exemple et nous incitent à "garder espoir dans la capacité humaine de changer" le monde.
Françoise Héritier souligne la nécessité d'abolir la hiérarchie homme-femme millénaire et en tous lieux : moyen de "rendre le monde meilleur, car c'est la première hiérarchie" et son abolition entraînera les autres progrès.
Elle nous invite à "l'espoir pour ce siècle", "une époque formidable".
Optimiste en plus, par les temps qui courent... Il y a des femmes formidables ! à nous de les mériter. Engageons-nous ; et les filles, faites des études !
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