lundi 2 juillet 2007

alerte : kidnapping !

Attention, un enlèvement est en cours : à peine le Grand Jacques vient-il de nous quitter, que le petit Jacques risque de se retrouver très vite Américain !
Né Bouisset, il a été dessiné par son papa Firmin en 1897, pour faire la publicité de notre petit-beurre LU :

Si Marcel Proust a été seul à conserver le souvenir aristocratique de sa madeleine (et peut-être qu'il a tout inventé ? c'était un écrivain... Il a joué de notre imagination), nous sommes des millions, depuis des générations, à garder le goût unique du petit LU.
Plus encore que la madeleine, c'est une culture nationale !

C'est un symbole de liberté : toutes et tous, avec nos petites incisives toutes fraîches, nous avons croqué d'abord les quatre coins, puis les bords du petit-beurre, avant de le finir au milieu, tout ramolli et fondant. Aucune maman n'a jamais pu l'empêcher.
C'est un symbole d'égalité : moins compliqué que tous ces biscuits d'aujourd'hui (parfumés, fourrés à tout et n'importe quoi surtout allergisant), il était franc, moins cher et plus accessible à tous. Il est resté simple.
C'est un symbole de fraternité : l'expérience du petit-beurre LU est partagée dans les souvenirs de tous.

Et voilà qu'un siècle et dix ans plus tard - alors même que LU a déjà gloutonnement avalé les petits Brun, l'Alsacienne, Belin, et autres BN, alors que LU cache déjà une multinationale - le petit Jacques va se faire enlever : la marâtre Danone va vendre son enfant adoptif !

Au nom de l'économique, du tout-libéral, Danone (qui ne donne plus trop l'envie de se lever... tôt le matin) prétend recomposer une famille en l'arrachant à sa patrie. Rappelons-nous.

En 1892 Firmin Bouisset croquait sa petite Yvonne (pas De Gaulle née Vendroux, qui vit le jour seulement 8 ans plus tard). C'est la petite fille à nattes qu'on voyait sur la pointe des pieds, de dos, écrivant au mur : CACAO MENIER. Elle était, et reste souvent, sur les pignons de tous les villages de France. Voilà donc deux enfants célèbres grâce à leur vrai père de talent.

Mais leurs images ont mal tourné : déjà l'ex-meilleur chocolat du monde ne risque plus d'emplir les rues de Noisiel de son arôme inoubliable. Il a d'abord été remplacé par les bonbons qui déteignent dans les doigts avides d'une autre multinationale lactée. Et la pauvre Yvonne n'est plus qu'une mercenaire : la famille recomposée avec son petit frère risque aujourd'hui de s'éloigner, et va oublier ses origines !

Pourquoi ce renoncement ? LU ne perdait pas d'argent, au contraire. Il parait que depuis 1994, la croissance moyenne annuelle de la marque est de 6%.
On sait seulement que mardi prochain, les représentants du personnel de LU-France sont conviés à une réunion sur un "projet d'évolution et d'organisation du pôle biscuits" du groupe agro-alimentaire français Danone. Ils craignent l'annonce de la cession de leur entreprise (près de 3 000 salariés en France), à la concurrence, les américains Kraft Foods et Kellogg étant cités comme candidats.

L'argent n'a pas d'odeur, les petits-beurres si ; et leur goût reste dans nos acquis. C'est toute notre culture qui en est imbibée. Il suffit de voir que leur trace reste même dans nos murs.

LU est nantais, et le mariage des époux Lefebvre-Utile (a-t-on assez gambergé sur l'"utile" !) a renforcé l'image de leur ville. Plus tard c'est un français illustre aux USA, Raymond Loewy qui a encadré de rouge leurs initiales, il y a juste 50 ans (de lui aussi, la plus célèbre bouteille américaine du monde). Aujourd'hui l'ancienne biscuiterie de Nantes est consacrée comme Lieu-Unique, centre culturel dynamique dans une ville imaginative. Inspiration, vitalité populaire, marque de l'Histoire, politique et culture se mêlent dans cette belle ville.

Des exemples ? Royal de Luxe, la Folle journée, et stop ! il y en a trop... Et en ce moment même.
Des noms ? Jean-Marc Ayrault, Jean-Louis Jossic (Tri Yann), Jean Blaise, stop à nouveau...

De même, le siège social de Nestlé-France est un des joyaux de l'architecture industrielle : c'est là qu'on attend le plus lors des journées du patrimoine en septembre. Cet été vous pourriez profiter des visites du samedi ? n'y comptez pas : c'est déjà complet ! (Mais le PDG qui avait décidé de jouer cette carte devait être un homme de culture, cette fois). Fanchon ne vous donnera même pas l'adresse, gardant le souvenir à huit ans de sa pêche au goujon, avec Grand-père, près de l'écluse de la chocolaterie.... Là aussi, culture et politique se mêlent, et réveillent souvenirs et imagination : les sites Menier pullulent !


C'est cet imaginaire mêlé au concret savoureux, au savoir-faire, au talent des personnes qui y ont travaillé, que l'industrie financière et spéculative s'occupe à brader. Et elle y gagne : vendre des marques si emblématiques permet une plus-value intéressante, mais qui se mêlera aux flux invisibles des capitaux globe-trotters. Le profit n'est pas pour les besogneux qui mettaient du cœur à l'ouvrage : à eux l'ANPE (si elle reste), et leurs yeux pour pleurer.

Ils n'ont plus de petits-beurres ? qu'ils mangent des bonbons industriels...

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